Macao est désormais la capitale mondiale du jeu. Cette ancienne colonie portugaise, « fer de lance et vitrine du jeu en Asie », a « détrôné Las Vegas ». Le plus grand casino du monde – le Venetian – se trouve à Macao. Ce gigantesque établissement (1 millions de m2) a couté 1,8 milliards de dollars. Il comprend 850 tables de jeu, 4500 machines à sous. Il abrite le premier hôtel d’Asie (le 2nd du monde) avec 3000 suites, 350 boutiques, 20 restaurants, un stade de 15000 places !
Si – logiquement – Macao a été affecté par la dépression, il faut parler de ralentissement, de faiblesse passagère et non de descente aux enfers. En 2008 et début 2009, les établissements de jeux ont traversé « une mauvaise passe » à cause de la crise et du fait des restrictions de visas décidées par Pékin (49% des joueurs de Macao proviennent de Chine). Mais en aout 2009, les casinos du territoire ont enregistré « les plus importants revenus de leur histoire ». La reprise s’est confirmé en 2010, les revenus du jeu ont augmenté de 70 % en juillet 2010, par rapport à juillet 2009. Les résultats globaux de l’année 2010 indiquent que désormais « Macao pèse quatre fois plus lourd que Las Vegas ». Les activités liées au jeu ont augmenté de 57,8 % l’année dernière, pour un CA de 17,7 milliards de dollars !
Les méga-projets – déjà installés ou en cours de réalisation – témoignent de la vitalité de l’ancienne enclave portugaise mais aussi de la passion hors norme des populations asiatiques pour les jeux d’argent et de la relation qu’elles entretiennent avec le hasard. D’après l’économiste Aaron Fischer (Crédit lyonnais Securities Asia), « le pari moyen en Asie est de 100 $, contre seulement 20 $ à Las Vegas et cela est lié à la plus grande propension des Asiatiques à jouer de l’argent ».
Trois éléments caractérisent le dynamisme de Macao en matière de jeux :
•Le gigantisme des réalisations, toutes plus « folles » les unes que les autres.
•L’importance du secteur casinotier dans l’ économie. Dans le cas de Macao on peut véritablement parlé d’économie casino avec les multiples retombées positives ( emploi, fiscalité, tourisme…), mais aussi du fait des risques encourus (dépendance liée à une mono activité, conséquences sociales du gambling sur les populations locales…). Cette dépendance est elle que le premier ministre chinois Wen Jiabao, lors d’une visite récente dans cette région administrative spéciale, a appelé Macao à « développer une économie diversifiée », 90% des revenus des casinos de Macao proviennent en effet du jeu, contre 50 % pour les casinos américains.
•Sa capacité à faire venir des clients étrangers – de préférence très riches – attirés par un enfer du jeu à la hauteur de leur fortune.
LE CASINO FOU DE SINGAPOUR
Mais c’est justement sur le terrain de la concurrence que Macao risque d’être rattrapé par de nouveaux entrants. Singapour a inauguré, en aout 2010, une Babylone du jeu, « des affaires et de la détente » : le Marina Bay Sand. « Le casino fou de Singapour » dépasse l’imaginaire le plus débridé : trois tours de 55 étages (200 mètres de haut), reliées par une terrasse de 340 mètres (pesant 50 000 tonnes et accueillant un parc de 1,2 hectare une piscine à débordement de 146 mètres), 600 tables de jeu, 1500 machines à sous, 2560 chambres, 280 boutiques,10 000 employés….
Sheldon Adelson, directeur général du groupe Las Vegas Sands, qui a déjà à son actif le célèbre Venetian de Las Vegas (1,5 Mrds$) a vu grand dans cette opération. Il estime que c’est ici que se joue « le futur du jeu ». Le magnat américain espère attirer des joueurs d’Indonésie, de Malaisie, de Thaïlande, du Vietnam, d’Australie , du Japon et même la clientèle chinoise qui fréquente déjà massivement Macao. En 2015, la fréquentation pourrait atteindre 17 millions de visiteurs dans la région, contre 9,7 millions actuellement. Mais Adelson devra faire avec les mesures prises en faveur du jeu responsable pour protéger les populations locales : conseil national pour les problèmes de jeu, interdits de jeu, droit d’entrée pour les autochtones, montant de perte maximale, information prévention. D’après Gillian Koh, chercheuse à L’institut d’étude politique de la Nationale University de Singapour, ces mesures « ont été nécessaire pour faire accepter les casinos par une majorité ».
Il faut dire que la prude et curieuse Singapour (les ventes de chewing-gum sont interdites, comme celles du magazine Play Boy ) a considéré pendant 40 ans les casinos comme des « activités indésirables ». Ce n’est qu’en 2005 que le premier Ministre – Lee Hsien Loong – a autorisé la construction de deux établissements : le gigantesque Marina Bay Sand et Le Resort World Sentosa. Cet établissement, qui a ouvert ses portes en février 2010 sur une thématique festive centrée sur les parcs d’attractions, possède 530 tables de jeu, 1300 machines à sous, 12 tables de poker.
LE DÉCLIN DE LAS VEGAS
La situation à Las Vegas apparaît beaucoup plus sombre qu’en Asie. À l’image d’une Amérique plongée dans la crise, la cité du péché (Sin City) subit de plein fouet la baisse de pouvoir d’achat des ménages américains et la paupérisation de certains d’entre eux. Mais cette crise économique s’ajoutant aux attentats du 11 septembre n’a pas empêché la réalisation de nouveaux méga-projets dans la célèbre ville du Nevada.
C’est notamment le cas du City Center. Un vaste complexe immobilier à l’architecture étonnante inauguré en décembre 2009. Cette réalisation de MGM Mirage (qui possède déjà 9 hôtels casinos à Vegas) est pharaonique : 8,5 Mrds$ et 12000 emplois créés. Elle abrite quatre hôtels, deux tours d’appartement, deux centres de conférences, le Cirque du Soleil, une galerie marchande, un casino. Le City Center est « le pari écolo de Las Vegas », conçu entièrement sur les principes du développement durable. L’idée – selon Andy Cohen, l’architecte maitre d’oeuvre du projet – « construire une ville verte au milieu du désert ».
Voilà comment le quotidien financier Les Echos décrit le lieu : « Saisissant contraste. Les six tours de verre du City Center surgissent, presque incongrues sur le Strip, l’artère sur laquelle se côtoient les plus grands casinos de la ville. Dépouillées, drapées de surfaces lisses et étincelantes, elles introduisent une urbanité inattendue parmi les reproductions tronquées de monument célèbres (tour Eiffel, palais des Doges, château du Roi Arthur) qui se bousculent sans vergogne le long de l’avenue. Les grandes baies vitrées et les œuvres d’art monumentales désarçonnent le visiteur dans l’univers en trompe l’œil du Strip. »
C’est également le cas du Cosmopolitan, un méga-hôtel casino de 3000 chambres ouvert le 15 décembre 2010. D’une hauteur symbolique de 52 étages, cette réalisation a couté 3,9 Mrds$. Elle comporte un casino de 9000m2 (1500 machines à sous, 80 tables de jeu), 14 restaurants, un spa de 4600 m2, un centre de convention de 14000m2.
Mais malgré ces paris sur l’avenir que représentent le City Center et le Cosmopolitan, les dernières statistiques en provenance de Las Vegas soulignent la cassure historique d’un développement ininterrompu depuis les années 40. « Les revenus du jeu déclinent de façon continue depuis trois ans. Les dépenses dans les casinos ont reculé de 20 % depuis 2008, » note David G. Schwartz, directeur du centre d’étude sur le jeu de l’université du Nevada. C’est dans le domaine du chômage que les conséquences de cette baisse d’activité sont le plus spectaculaire. Le taux de chômage au Nevada – le plus élevé du pays – atteint 14,4%, contre 3,8% il y a 10 ans.
C’est dans le domaine de l’immobilier (les saisies atteignent 23,6 %, la aussi un record national) que les conséquences de cette dépression apparaissent le plus visibles. Selon La Tribune, « loin des 6kms qui modèlent le Strip, le spectacle de la ville n’est en effet que désolation. Des rues entières, bordées de maisons que l’on devine autrefois coquettes, sont désormais hérissées de panneaux à vendre. Jardins envahis d’herbes folles, amoncellement de détritus, meubles et cartons abandonnés à la hâte, le vent chaud qui souffle du désert proche, accentuent l’impression de ville fantôme. »
Moins visible et sans doute moins représentatif – mais tout aussi étonnant et dramatique – la crise qui fait actuellement « vaciller » Las Vegas a entraîné une hausse des sans domicile fixe, qui vivent sous la ville dans une obscurité totale, où 3 à 500 ‘hobos’ sédentarisés squattent les 300kms de l’immense labyrinthe que constituent les égouts de Las Vegas. Le Monde décrit ces SDF ou ‘homeless’ d’un nouveau genre : « Pauvres parmi les pauvres, ces miséreux rejetés dans les entrailles de la ville doré, vivent ici loin des regards. » Triste ironie de l’histoire, cette population sort des égouts la nuit pour récupérer les ‘orphelins’, ces pièces oubliées par les joueurs dans les bandits manchots. « Une pratique ancestrale dans cette ville aux 200 000 machines à sous et surnommé le silver mining, la pêche à l’argent, » explique Le Monde.
C’est un journaliste local – Matthew O’Brien – qui a découvert en 2002 cette population souterraine, composée de « paumés alcooliques, clochards célestes, joueurs en fuite ou criminels drogués ». Voilà comment il décrit les lieux et cette population marginalisée, qui trouve un abri dans les égouts de la cité du jeu : «Tous ces endroits sont extrêmement dangereux mais ils représentent paradoxalement une étonnante protection. La fraîcheur des canalisations les protège des grandes chaleurs. Les policiers s’y risquent peu, tout comme les bandes. Et puis cet anonymat furtif, leur permet de vivre tant bien que mal des excès de Las Vegas. »
Mais rien n’est gagné, car les établissements de Las Vegas risquent d’avoir à affronter prochainement un nouveau concurrent : les casinos virtuels. Selon Dickinson Whright – un avocat spécialisé du secteur – la victoire récente des Républicains au Congrès pourrait accélérer la libéralisation des jeux en ligne, curieusement toujours interdits aux Etats–Unis. L’Amérique – pays libéral – a prohibé en 2006 le transfert de fond entre parieurs et sites de jeu, interdisant de facto les jeux d’argent sur le web. S’il était légalisé, ce marché représenterait « 22 milliards de $ la première année ; 26,7 milliards en 2015 ».
En attendant rien n’empêche de découvrir Las Vegas – le dernier bastion des fumeurs – et de passer une nuit dans l’une de ses 148 000 chambres d’hôtels, grâce à la liaison aérienne directe depuis Paris, inaugurée en mai 2010 par XL Airways. Même blessée par la crise, Las Vegas reste un symbole et le modèle d’une « hyper Amérique » qui n’a peut-être pas dit son dernier mot. Des analystes, interrogés récemment par le Las Vegas Sun, annoncent que Las Vegas retrouvera ses revenus d’avant crise en 2014… pour ensuite les dépasser.
